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Cour des comptes
28/10/2022

La Cour des comptes formule quatre recommandations sur la politique de rénovation énergétique des bâtiments

Le Premier président
de la Cour des comptes
à
Madame Elisabeth Borne
Première ministre
Le 28 juillet 2022
Le secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, constitue en France la première source de consommation d’énergie. La politique de rénovation énergétique des bâtiments, à laquelle l’État a consacré plusieurs réformes législatives au cours de la dernière décennie, est un outil majeur pour la mise en œuvre de la stratégie bas carbone et l’accentuation de la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre.
Cette politique s’inscrit également dans un horizon de long terme : disposer d’un parc bâti neutre en carbone et aux normes basse consommation en 2050. Le périmètre concerné est étendu à l’ensemble du secteur du bâtiment et à tous les publics (propriétaires occupants et bailleurs du secteur résidentiel, propriétaires ou bailleurs du secteur tertiaire, de l’immobilier de l’État ou de celui des collectivités territoriales).
À l'issue de son enquête, la Cour estime que les objectifs de la politique publique de rénovation énergétique des bâtiments restent à préciser, les dispositifs à clarifier et certains freins à lever. Le pilotage doit être resserré et l'accompagnement renforcé sur l'ensemble du territoire. L'efficacité de cette politique, aux lourds enjeux financiers (7 milliards d’euros en 2021 hors plan de relance), doit être rigoureusement mesurée.
La Cour alerte ainsi sur la nécessité de rationaliser rapidement la définition des objectifs, les moyens mobilisés et le suivi des résultats afin de pouvoir mesurer la performance effective des investissements réalisés.
  • DES OBJECTIFS A PRÉCISER, DES DISPOSITIFS A CLARIFIER ET DES FREINS A LEVER

    La politique publique de rénovation énergétique des bâtiments s’articule autour de quatre axes d’action distincts et complémentaires. Il s’agit en premier lieu de créer et déployer des référentiels de performance énergétique opposables, comme le diagnostic de performance énergétique (DPE) ou la base de données OPERAT en cours de constitution pour le secteur tertiaire. En deuxième lieu, la politique publique entend favoriser l’émergence d’une filière professionnelle de la rénovation, notamment par des dispositifs de labellisation comme le label « reconnu garant de l’environnement » (RGE). Un troisième axe consiste à créer un service public de la rénovation énergétique chargé de mettre à la disposition des parties prenantes (ménages, entreprises, collectivités) les informations nécessaires pour simplifier autant que possible le parcours de l’usager, favoriser l’engagement des projets de rénovation et les accompagner. Enfin, au moyen d’instruments d’incitation, principalement financiers, et d’outils normatifs comme l’obligation de rénover, les pouvoirs publics visent à déclencher la décision de rénovation chez les propriétaires du bâti.

    La Cour constate une cohérence insuffisante dans l’articulation de ces différents axes et entre les différents objectifs opérationnels poursuivis. La notion même de rénovation énergétique reste imprécise, y compris après l’adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : la rénovation énergétique peut recouvrir différentes formes d’intervention, depuis la réalisation de gestes de rénovation isolés et non coordonnés dans un projet global, jusqu’à une opération d’ensemble, au coût élevé, visant en une seule fois l’atteinte d’un objectif de performance énergétique dont les résultats seraient mesurés.

    En conséquence, les dispositifs portés par la politique publique ont fait l’objet de réformes fréquentes qui ont nui à leur lisibilité. D’une part, les dispositifs ne couvrent pas toujours les mêmes gestes, s’agissant notamment du taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation relativement aux subventions directes. D’autre part, les règles de cumul ont évolué et ne sont ni stabilisées, ni aisément compréhensibles pour les usagers. Les efforts récents avec la mise en place d’une unique prime de transition énergétique nommée MaPrimeRénov’ ne répondent que partiellement à la simplification souhaitée : ainsi, de nombreux paramètres déterminent les critères d’éligibilité et les conditions de cumul notamment avec les certificats d’économie d’énergie(CEE), ne font pas toujours l’objet d’un suivi.

    Au regard d’autres enjeux publics, la politique de rénovation énergétique est par ailleurs mal définie. Les effets des gestes d’isolation sur la santé des habitants ou le confort notamment acoustique du logement ne sont pas pris en compte. L’empreinte environnementale d’une rénovation n’est pas un critère utilisé par les pouvoirs publics, alors qu’il pourrait sembler logique de conditionner des travaux visant la réduction de consommation d’énergie et de gaz à effet de serre (GES) à l’utilisation de matériaux biosourcés et à l’usage de techniques respectueuses de l’environnement.

    Cette politique doit également être cohérente avec d’autres politiques publiques telles que la rénovation urbaine et la prévention des risques naturels. À défaut, ces incohérences peuvent être constitutives de freins : c’est le cas des règles d’urbanisme qui conduisent les services déconcentrés du ministère de la culture ou certaines collectivités territoriales à interdire les travaux de rénovation énergétique dans les centres-villes des grandes métropoles et aux abords des monuments historiques.

    Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone du parc bâtimentaire d’ici 2050 et adapter les bâtiments au changement climatique, ces freins devront être levés.

  • UN PILOTAGE A RESSERRER ET UN ACCOMPAGNEMENT A RENFORCER A L’AUNE DE LA PRIORITÉ AFFIRMÉE

    Il manque à la politique de rénovation énergétique des bâtiments un pilotage fort et efficace et un service public de l’accompagnement efficient sur l’ensemble du territoire national.
    La rénovation énergétique fait appel à de nombreuses parties prenantes. Deux directions ministérielles sont principalement chargées du logement et de l’énergie: la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ; elles élaborent et proposent les dispositifs ainsi que leurs règles de mise en œuvre. Le ministère chargé du logement intervient sur le parc social, et d’autres administrations notamment de l’économie, des finances et du budget participent à ce travail ou apportent une expertise en matière de légistique fiscale. La gestion des prêts ou le financement des appels à projets en matière d’innovation relèvent de la responsabilité de la Caisse des dépôts et consignations et du secrétariat général pour l’investissement (SGPI), ou de certaines banques.

    Pour les bâtiments tertiaires du secteur public, la direction de l’immobilier de l’État (DIE) est chargée de l’amélioration énergétique du parc dont elle a la charge; elle pilote à ce titre les chantiers de rénovation des grands parcs de bureaux de l’État, notamment dans le cadre d’un programme budgétaire spécifique et plus récemment du plan de relance.

    Les collectivités territoriales peuvent quant à elles intervenir sur leur propre parc, et solliciter à ce titre des aides mais également proposer un accompagnement aux ménages de leur ressort ; dans les deux cas, les dispositifs de coordination et de suivi des actions entreprises sont très limités et souvent inexistants.

    L’État a également recours à plusieurs opérateurs intervenant sous diverses formes dans la politique de rénovation énergétique. L’Agence nationale de l’habitat (Anah) a vu ses responsabilités élargies avec la mise en place de la prime de rénovation énergétique (MaPrimeRénov’) qui remplace notamment l’ancien programme Habiter mieux; plus récemment, cet opérateur a été chargé de la coordination d’un réseau d’accompagnement jusque-là plutôt dispersé, dont le pilotage était principalement assuré par l’agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie (Ademe) mais qui implique un nombre toujours significatif d’acteurs associatifs.

    La coordination de toutes ces parties prenantes, auxquelles il faut ajouter notamment les entreprises du bâtiment, a été jusqu’à présent insuffisante. Elle a fait l’objet récemment d’une refonte. Auparavant confiée dans une logique d’animation au coordonnateur du plan issu du « Grenelle de l’environnement», sollicité dans le cadre du dispositif dénommé « plan bâtiment durable », elle relève aujourd’hui d’une mission interministérielle de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, créée à l’automne 2019, dont la première tâche a été de préparer l’unification et la coordination des réseaux d’accompagnement. Dotée toutefois de faibles moyens, cette mission n’est pas équipée pour assumer le pilotage national de la politique de rénovation énergétique et en particulier le suivi des actions en lien avec les collectivités territoriales.

    Enfin, l’accompagnement des bénéficiaires des divers dispositifs apparaît encore complexe. S’agissant des guichets de la rénovation, la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte les a transformés en « plateformes territoriales de la rénovation énergétique » (PTRE) aux missions élargies.

    Elles ont intégré d’autres structures préexistantes comme les plateformes issues des appels à manifestation d’intérêt(AMI) portées par l’Ademe et les conseils régionaux. Par ailleurs, l’Ademe a lancé en septembre 2018 pour deux ans, une campagne appelée « FAIRE » ayant abouti à la constitution d’un réseau de guichets de proximité réunis sous cette appellation.

    Or, l’articulation entre les différentes plateformes n’est pas assurée et la réunion des différents réseaux sous le label « France Rénov’» au début de l’année 2022 n’a pas encore permis de clarifier les rôles et les missions des différentes structures : il s’agit davantage d’un annuaire des plateformes que d’une harmonisation des services proposés. La Cour estime qu’il conviendrait de tirer les enseignements de la coexistence de ces plateformes pour que ce nouveau service puisse être adapté aux différents publics, sur l’ensemble du territoire national, et démontrer ainsi sa pleine efficacité.

  • UNE POLITIQUE AUX LOURDS ENJEUX FINANCIERS DONT L’EFFICACITÉ DOIT ÊTRE RIGOUREUSEMENT MESURÉE

    Le suivi de l’efficacité de la politique publique est limité, alors même que les engagements financiers publics sont élevés. Les dispositifs d’aide financière à la rénovation énergétique mobilisent en effet un volume de dépenses significatif que la Cour estime à plus de sept milliards en 2021 en prenant en compte, outre les dépenses publiques en partie sous-évaluées – notamment les aides des collectivités territoriales – le financement par les certificats d’économie d’énergie principalement assuré par les fournisseurs d’énergie (électricité, gaz naturel, produits pétroliers), qui en répercutent le coût sur le consommateur final. Dans le cadre du plan de relance, une enveloppe supplémentaire de 6,3 Md€ a été allouée à la rénovation énergétique des bâtiments sur les deux années 2021 et 2022. Une estimation détaillée et étayée mériterait d’être conduite par les administrations concernées, incluant également une remontée d’informations provenant des collectivités territoriales.

    Au regard de ces montants, la mesure de l’efficacité des financements pour l’atteinte des objectifs de performance énergétique est particulièrement complexe et, en l’état des données disponibles, quasiment hors d’accès. Peu d’aides sont attribuées au vu d’un audit permettant de connaître la performance énergétique du bâtiment avant rénovation. L’accompagnement des bénéficiaires dans leur projet de rénovation est rarement assuré. La contrepartie des aides consiste majoritairement en la réalisation de gestes de travaux, soit uniques (« rénovation mono-geste »), soit par bouquet, mais sans étude d’impact. Les travaux d’analyse existants, d’ailleurs limités au champ du résidentiel privé, sont le plus souvent des évaluations de résultats à partir de modèles conventionnels basés sur les estimations ex ante des résultats à atteindre au moyen de chaque geste aidé. Il n’est en particulier pas possible de mesurer les conséquences de « l’effet rebond », c’est-à-dire du changement de comportement du bénéficiaire, qui peut annuler tout ou partie de l’économie d’énergie résultant de la rénovation par une augmentation de sa consommation d’énergie en vue d’un meilleur confort thermique. Ces difficultés résultent notamment de données inexistantes, peu disponibles, ou dont le renseignement présente des biais significatifs : par exemple, les cumuls d’aides pour un même logement ou le rapprochement des évolutions de consommation d’énergie avec les aides allouées. La Cour considère que les administrations devraient s’assurer de l’opérationnalité des bases concernées et réaliser un audit de la donnée.

    Caractéristique renforcée par l’enveloppe du plan de relance, les aides financières à la rénovation énergétique des bâtiments sont conçues à partir d’un objectif de massification plutôt que de performance des rénovations. Si certains dispositifs comportent des majorations en faveur des projets de rénovation ambitieuse et performante – tel peut être le cas des certificats d’économie d’énergie, de l’ancien programme Habiter mieux sérénité opéré par l’Anah et de la récente prime de transition énergétique (MaPrimeRénov’) – on observe que les consommateurs sollicitent essentiellement des aides en faveur de gestes isolés de rénovation, en l’absence d’un pland’ensemble visant l’atteinte d’une haute performance énergétique.

    De ce point de vue, les objectifs ambitieux de la politique de rénovation énergétique des bâtiments se traduisent par des résultats limités en termes de performance énergétique, dont on peut craindre qu’ils entraînent de nouvelles dépenses à l’avenir, et par voie de conséquence des appels à de nouvelles aides publiques pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de la France.

    Plus généralement, la définition des cibles comme la mesure des résultats de la politique de rénovation énergétique s’expriment le plus souvent par le nombre de logements rénovés et les dépenses publiques consenties, plutôt que par les quantités d’énergie économisée et d’émissions de gaz à effet de serre évitées , dont l’évaluation est insuffisante ou inexistante.

La Cour formule en conséquence quatre recommandations :
  • Recommandation n° 1 (ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de la transition énergétique, 2023) : clarifier les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique en simplifiant la description des gestes de rénovation concernés et en précisant les règles de cumul ;
  • Recommandation n° 2 (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de la transition énergétique, 2022) : renforcer le pilotage national de la rénovation énergétique des bâtiments ;
  • Recommandation n° 3 (ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de la transition énergétique, 2022) : établir une estimation détaillée et étayée des engagements financiers nationaux et locaux des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des bâtiments au regard des bénéfices attendus.
  • Recommandation n° 4 (ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ministère de la transition énergétique, 2023) : assurer la disponibilité, l’interopérabilité et la fiabilité des données permettant de mesurer l’efficacité des dispositifs de rénovation énergétique.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois, prévu à l’article L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez donnée à la présente communication.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici